1936
Henri Decoin avait écrit une opérette à la gloire du lancement récent du plus rapide des Transatlantiques : le paquebot Normandie. Et il avait eu l’idée d’en confier la musique au compositeur de Tout va très bien, Madame la Marquise. L’opérette était programmée au Théâtre des Bouffes Parisiens, où avaient été joués Maurice Yvain ou Raoul Moretti... C’était pour moi une consécration. Et aussi une grande tension, car les délais étaient très courts.
Au cours des répétitions, Henri Decoin vint me trouver, soucieux. On déplorait, dans le deuxième acte, un petit moment creux auquel il fallait absolument remédier, d’autant plus efficacement que Suzanne Dehelly, l’une des interprètes principales n’avait, à ce moment-là, aucune chanson pour elle !
Et de me demander si je ne pourrais pas, d’urgence, rajouter une chanson, « enfin, quelque chose dans le genre de Tout va très bien, tu vois ? ». Et moi de pâlir… Il est toujours difficile de faire quoi que ce soit « dans le genre de… », et de plus, s’il s’agit de renouveler un immense succès, c’est impossible !
Le soir même, je téléphonai à André Hornez, mon complice parolier :
- Au secours, André ! Ils veulent quelque chose dans le genre de… etc.
André raccroche. Il me rappelle une demi-heure plus tard :
- Qu’est-ce que tu dirais d’un départ comme « ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine » ?
- Bon, pourquoi pas.
J’inventai dans la foulée une musique très gaie. Tout dépendait maintenant des paroles qu’André allait mettre dessus… Le lendemain soir, les couplets étaient terminés : ils étaient proprement irrésistibles !
Sur scène, Suzanne Dehelly, rassurée d’avoir enfin « son » morceau à chanter, en fit le triomphe de la soirée. Et bientôt, la chanson eut les honneurs de la critique, presque autant que l’opérette entière !
« Ca vaut mieux que d’attraper la scarlatine » :
Petite histoire d’une grande chanson…
Mémoires non éditées de Paul Misraki, archives familiales.