Charles Trenet…Mémoires non éditées de Paul Misraki, archives familiales.
On sonne à ma porte : deux jeunes gars dont j’avais entendu, à la radio, les performances de duettistes ; on les appelait « Charles et Johnny ». Johnny, c’était Johnny Hess. Quant à Charles, il se nommait Trénet.
Le motif de cette aimable visite ? Charles et Johnny savaient composer des chansons charmantes, originales, spirituelles, mais ni l’un ni l’autre ne connaissait la musique. Ils savaient jouer du piano et en tirer des airs, mais si on leur présentait une feuille de papier striée de portées, aucun des deux n’en connaissait l’usage. Toute leur éducation, en l’occurrence, restait à faire.
Or, pour devenir membre de la SACEM et percevoir des droits d’auteur, il était obligatoire de fournir la preuve que l’on était capable d’écrire la musique (rappelez-vous l’examen d’entrée auquel j’avais moi-même été soumis, en 1928…).
Charles et Johnny étaient donc venus me demander d’être leur co-compositeur, en attendant que l’un et l’autre apprennent à disposer les notes sur les portées selon les règles de l’harmonie. Je n’avais aucune raison de refuser, d’autant moins que les interventions du duo à la radio m’avaient beaucoup plu. Je laissai donc Charles s’asseoir devant mon piano, et il se mit à jouer, en la chantant, une chanson qui s’appelait « JE CHANTE » (« je chante, soir et matin, je chante, sur mon chemin… »)
Il la répéta autant qu’il le fallait, nous la retouchâmes, et enfin j’eus fini d’en noter la mélodie et les accords. Il ne leur resta plus qu’à porter le manuscrit chez l’éditeur Raoul BRETON, qui se chargerait de le faire imprimer et de le déposer à la SACEM.
Ce fut là le début officiel de Charles Trénet et je suis assez fier, encore aujourd’hui, de pouvoir dire que je lui ai mis, en quelque sorte, le pied à l’étrier. A des musiques tout à fait plaisantes, Charles ajoutait des paroles très astucieuses, un peu loufoques, tranchant délibérément avec le style auquel le public était alors habitué. Aucun auteur avant Charles n’avait eu l’audace d’inventer des images telles que, par exemple :
- Y’a d’la joie, la Tour Eiffel part en balade,
- Comme une folle, elle saute la Seine à pieds joints…
Il fallait l’imagination débordante d’un Charles Trénet pour évoquer encore la Tour rassemblant ses quatre grosses pattes pour franchir le fleuve d’un bond en s’écriant :
- Tant pis pour moi si j’suis malade
- J’m’ennuyais tout’seule dans mon coin.
Ecoutez Charles Trenet et "Je Chante"